Patrimoine
Edito
S'approprier notre passé
Notre groupe s’inscrit dans la lignée des historiens et des chercheurs ayant travaillé sur le passé des Matelles.
Nous avons à notre actif, en partenariat avec les municipalités successives, des réalisations dans le domaine culturel :
- Cinq expositions sur la Guerre de 1914-1918
- Recherches de photos anciennes et expositions
- Numérisation et présentation de ces photos (accessibles à tous à la Médiathèque)
- Circuit de visite du vieux village (avec QR Code)
Nous pensons qu’il est important que tous les Matellois s’approprient ce passé parfois mal connu. Or notre village a beaucoup changé : de 314 habitants et 13 élèves dans une seule classe en 1962, nous sommes aujourd’hui plus de 2000 et le groupe scolaire accueille 315 enfants. Ancien cheflieu de canton, ancienne « capitale » de la communauté du Val de Montferrand, nous nous proposons de vous raconter son histoire. Sollicités par le magazine municipal « Le Matellois », nous lui avons transmis des photos pour son article « Mémoire des Matelles ».
Sollicités par le magazine « L’Écho du Lirou », nous vous présentons ce premier numéro spécial : « Patrimoine et Histoire des Matelles ».
Le groupe Patrimoine et Histoire des Matelles : Pierre Grau, Bernard Cournut, Claude Guillon, Catherine Matyja.
Monuments et architecture
- Au coeur d’une maison du vieux village
Comment ne pas être attiré par son bel escalier extérieur ? Cette maison recèle bien des secrets. Chaque niveau avait son usage.
Des décorations d’origine religieuse
Les éléments de décoration portant des signes religieux et un chapiteau à feuilles d’acanthe sont des récupérations, peut-être du cloître de l’abbaye de St Guilhem le Désert.
La maison s’élève sur trois niveaux
Figure emblématique et bien connue des amoureux des Matelles, cette magnifique maison est située dans la partie la plus récente du vieux village et fut donc construite au début du 15ème siècle. Elle était à l’intérieur de la troisième enceinte ; celle-ci fut ouverte en 1836 d’où le nom de « Porte de la Brèche ».
Au niveau de la rue, on trouve une grande pièce voutée en pierres avec deux petits fenestrous (petite fenêtre). Celle-ci était utilisée pour les travaux agricoles puisqu’on y a retrouvé une cuve pour fouler le raisin, dont les carreaux étaient en terre vernissée. Un petit espace était utilisé pour élever des poules.
Notre regard est attiré par le mur du fond, mitoyen de la maison voisine, dont les pierres ont disparu et ont été remplacées par du ciment. En effet, au moment des guerres de religion (XVIème-XVIIème), cette partie basse du village était la plus vulnérable. Donc, des ouvertures ont été pratiquées entre les maisons et ainsi les habitants pouvaient aller se réfugier dans la partie haute du village, en passant d’une maison à l’autre.
Une chaise dans la cheminée du premier étage
On accède au premier étage par un escalier extérieur accolé à la façade. C’est l’espace de vie. La cheminée y occupe tout un pan de mur. Une personne, souvent la mamette (grand-mère), y était assise sur une chaise basse.
A côté, un petit espace vouté servait à entreposer le bois. Une pièce attenante devait servir de chambre.
Au deuxième étage, la réserve
Le deuxième étage, accessible par un escalier de pierre, était un lieu de réserve. Un petit fenestrou laissait entrer la lumière. C’était l’espace où l’on conservait les céréales, la paille…On a pu y éduquer des vers à soie jusqu’à ce qu’ils forment leur cocon.
Les magnifiques chéneaux en tuiles vernissées jaune et vert ainsi que la grande jarre jaune qui se trouve à l’extérieur de la maison, et qui servait pour les réserves d’huile, doivent provenir très certainement de St Jean de Fos. La production y a commencé au XIVe.
Les éléments de décoration portant des signes religieux et un chapiteau à feuilles d’acanthe sont des récupérations, peut-être du cloître de l’abbaye de St Guilhem le Désert. En effet, ce cloître haut fut détruit lors de la Révolution française. Des éléments ont été réemployés, et une grande partie est conservée aujourd’hui au musée des cloîtres de New York.
Une maison typique, source d’inspiration
Comme c’est le cas pour de nombreux artistes, les aquarellistes trouvent aux Matelles une belle source d’inspiration au coeur du vieux village. Qu’il s’agisse d’amateurs éclairés ou de débutants, les vieilles pierres chargées d’histoire du vieux village ne peuvent les laisser indifférents.
- Si les ponts des Matelles m’étaient contés
Le Lirou, notre rivière, ne coule pas souvent. Mais quand cela lui arrive, fortement grossi en amont du vieux village par son affluent la Déridière, il n’est plus possible de le traverser à gué.
Un premier pont … à péage
Aux XIIème-XIIIème siècles, l’évolution économique rendit nécessaire la construction d’un pont. Un premier a été construit vraisemblablement déjà au 13ème siècle.
Vraisemblablement au passage du pont, un péage était perçu aux Matelles comme l’indique un document de 1266. Péage certainement au profit du seigneur-comte de Montferrand qui l’avait fait construire.
Situé à 15 mètres en amont de la Rue Droite, ce pont se terminait après l’actuelle statue de la Vierge.
Massif, en pierre, il comportait une pile (dont la fondation est encore visible) à 3 mètres de la rive gauche. Il abritait une fontaine sous son parapet aval de la rive droite.
Représentation du niveau atteint par le Lirou lors de l’inondation de 1933. La décision de créer un 3ème pont était une évidence.
Comme on peut le voir sur ce dessin d’Amelin qui date de 1834, cette fontaine deviendra un puits. En savoir plus sur Jean-Marie Amelin.
Puits surmonté par la statue de la Vierge vers 1870 mais encore longtemps utilisé. Ce premier pont était étroit et ses accès malaisés aux charrettes, ce qui décida les Matellois à construire un deuxième pont à partir du 15 juillet 1856. Le premier, en mauvais état, fut démonté après décision prise en conseil municipal du 7 mai 1865 pour éviter son possible effondrement avec risque d’embâcle et d’inondation.
1856 – Construction d’un deuxième pont
Le deuxième pont, situé au même endroit que l’actuel, toujours en pierre, comportait une pile centrale (donc deux arches). La construction de cet ouvrage s’aligna à la nouvelle route de Saint-Mathieu-de-Tréviers ouverte en 1851 (actuelle Avenue du Val de Montferrand). Les constructions nouvelles se firent de part et d’autre de l’axe du pont mais on démolit aussi pour cela une partie du bâti pour élargir la nouvelle voie rejoignant la route de Ganges.
Lors des épisodes méditerranéens, des arbres bloqués par cette pile créaient des embâcles bouchant le passage de l’eau. D’autant plus que le parapet du pont, massif et en pierre, formait aussi un barrage. Le village a donc été plusieurs fois inondé, notamment en 1862 et 1933. Les niveaux sont visibles sur la façade de la mairie et aussi à l’intérieur de celle-ci.
1934 – Le troisième pont
Le troisième pont a été construit après l’inondation de 1933. C’est le pont actuel avec une seule arche, donc sans pile, plus haut que le deuxième et sans parapet massif.
Matellois célèbres
- Pierre Granier, un sculpteur Matellois à Versailles !
On parle souvent d’Albertine Sarrazin… Pourtant, le sculpteur Granier qui, lui, est vraiment né aux Matelles a eu un fabuleux destin à la cour du roi Louis XIV.
Notre village ne fut jamais une grande agglomération, même s’il avait jadis le droit de s’appeler ville des Matelles, pour des raisons que nous vous expliquerons une autre fois. Peu peuplé, il est donc pauvre en célébrités reconnues. La plus ancienne et peut-être la plus prestigieuse fut le sculpteur Pierre GRANIER, qui naquit ici vers 1635 ou peut-être 1655, sous le règne des rois Louis XIII ou Louis XIV. Nous ne savons rien de son enfance aux Matelles, ni de sa jeunesse sinon qu’il partit assez vite vers la capitale où il entra dans l’atelier de François Girardon, un des sculpteurs favoris du roi.
L’Académie Royale
En 1684-1685, il effectua une copie d’une statue antique de Bacchus que Louvois, alors surintendant des bâtiments du Roi, avait fait mettre à sa disposition à cet effet. Il en reçut une gratification le 17 mars 1686 « en considération de la satisfaction que Sa Majesté a eue de la figure de marbre représentant un Bacchus qu’il a livrée et posée au jardin de Versailles ».
Il fut reçu en 1686 comme membre de l’Académie royale de peinture et de sculpture en présentant un buste de Louis XIV. Avec d’autres artistes plus ou moins célèbres, il participa notamment à la décoration du château de Versailles et de ses jardins, alors que le roi cherchait à éblouir l’Europe entière par la magnificence de sa résidence. C’est ainsi que l’on peut admirer ses œuvres dans les jardins, outre Bacchus, sur les murs du château où batifolent de nombreux amours et sur le fronton des écuries royales.
Au secours de Jupiter !
Il fut aussi demandé à notre artiste de jouer les orthopédistes. En effet, une statue de Jupiter provenant de Smyrne, actuellement Izmir en Turquie, que Louis XIV avait acquise, subit quelques dommages après un voyage mouvementé dont deux naufrages et une attaque de pirates barbaresques. Elle parvint à destination avec un bras en moins que notre compatriote fut chargé de reconstituer. Le résultat fut satisfaisant puisque Jupiter put à nouveau brandir la foudre dans les jardins de Versailles avant que la Révolution ne l’envoie au musée du Louvre où il a retrouvé le calme jusqu’à nos jours.
Exactitude et finesse
Un mois après son souverain, le roi s’étant éteint au matin du 1er septembre, Pierre Granier, sculpteur du Roi, âgé de 80 ans environ, meurt le 6 octobre 1715 dans le centre de Paris. « Ainsi mourut, dans une discrétion proche de l’anonymat, le sculpteur héraultais Pierre Granier, loin de son village natal, après une vie que l’on devine laborieuse mais heureuse car il a pu se consacrer non sans succès à l’épanouissement de sa vocation artistique. Il s’inscrit dans le plus pur classicisme, tout en succombant à l’attrait du baroque dans son traitement des chevelures et des drapés.
En tout cas, son exécution technique allie l’exactitude irréprochable du modelé et une ciselure d’une grande finesse. Deux qualités qui sont la marque des grands sculpteurs inspirés par les canons des prestigieux prédécesseurs grecs et latins » (in L’Agglorieuse, Donato Pelayo, 28/10/2015).
Sports et Loisirs d'antan
- Pourquoi la rue du Jeu de Ballon ?
Une rue du village porte ce nom, que l’on trouve également dans de nombreuses villes et villages héraultais. Mais il ne faut pas s’imaginer que les garçons y pratiquaient un sport ressemblant au football.
Entre la « Rue de la Calade » et la Croix de l’« Avenue du Val de Montferrand
Une rue du village porte ce nom, que l’on trouve également dans de nombreuses villes et villages héraultais. Mais il ne faut pas s’imaginer que les garçons y pratiquaient un sport ressemblant au football.
Cette rue en pente est située entre la « Rue de la Calade » et la Croix de l’« Avenue du Val de Montferrand ». C’est l’ancien fossé médiéval longeant la muraille Est.
« C’était dans cette rue que se pratiquait autrefois le jeu du tambourin » écrivait l’ancien garde-champêtre Paul Sadde. En fait, la mémoire des Anciens confond le « jeu de ballon » avec son héritier le « jeu de balle au tambourin ».
Dans la vallée de l’Hérault, en Provence et aussi en Italie
Dès le XVIIème siècle le jeu de ballon était pratiqué dans la vallée de l’Hérault et le Montpelliérais, ainsi qu’en Provence et en Italie. Le jeu serait arrivé dans le Midi de la France au XVIème siècle sous l’influence de la Renaissance italienne (XIVe – XVIe siècles).
Aux Matelles, le jeu de ballon figure sur un compoix (ancien cadastre) de 1613. Un inventaire des biens de la communauté de 1687 cite « une place servant de jeu de ballon ». La plus ancienne référence au jeu de ballon est antérieure à 1639. Au milieu du XVIIIe siècle, quasiment chaque localité de la plaine héraultaise avait un terrain de jeu permettant de s’adonner à celui-ci.
Cette activité sportive, appréciée des jeunes hommes, était un lieu de sociabilité où la robustesse était mise en valeur. C’était un jeu proche de la « longue paume » pratiquée au Moyen-âge. Le ballon pouvait être frappé soit à la volée, soit après un rebond au sol. Le rebond contre la muraille (rendue plane par un enduit à la chaux) permettait d’obtenir un effet sur sa trajectoire qui mettait l’adversaire en difficulté (comme au squash). Le but pour marquer un point était de réussir à envoyer le ballon au-delà de la ligne de fond adverse.
A partir des années 1860, avec l’apparition de nouveaux instruments, la pratique du jeu de ballon avec brassard s’éteignit progressivement. Elle fut ensuite remplacée par le « jeu de balle au tambourin » (avec cercle de bois tendu de peau de chèvre et une plus petite balle en caoutchouc). Nous parlerons du tambourin aux Matelles dans un prochain cahier.
Un étrange brassard !
Le jeu de ballon au brassard, apprécié des jeunes, était un lieu de sociabilité où la robustesse était mise en valeur. Il s’identifie à la pratique de la « longue paume » du Moyen Âge et oppose 2 à 8 adversaires sur un terrain pouvant atteindre 80 mètres, le long d’un mur (en général le rempart, comme aux Matelles) et de la largeur du fossé défensif. Lors de la mise en jeu, le ballon devait rebondir sur la muraille (rendue plane par un enduit à la chaux) ; il était ainsi plus difficile à reprendre par l’adversaire. Les rebonds sur le mur étaient aussi possibles durant le jeu. Un point était marqué lorsque la balle franchissait la ligne de fond adverse.
Le ballon, d’environ 10 cm de diamètre, était particulièrement dur. Aussi devait-il être frappé avec force par un instrument très résistant : le « brassard », cylindre de bois que l’on enfilait sur le poignet, tenu solidement à l’intérieur par une cheville de bois. Sa surface était sculptée en « pointes de diamant », afin de permettre un meilleur effet sur le ballon au moment de la frappe. Cet instrument de jeu devenait malheureusement une véritable arme lors de rares bagarres à coups de brassards dues aux litiges entraînés par des paris souvent considérables.
Pour en savoir plus : voir Etudes héraultaises, n°39, 2009 : « Au temps où le jeu de ballon n’était pas encore un jeu d’enfant ». Nous remercions Christian Guiraud, co-auteur de l’article, propriétaire du brassard, qui nous a autorisés à reproduire les illustrations.
Ces noms qui nous parlent
- Langue d’oc et histoire des Matelles
Connaître l’histoire des Matelles grâce à la langue d’oc
La langue d’oc ou langue occitane, parfois péjorativement nommée « patois », a été depuis le MoyenAge la langue parlée aux Matelles mais non écrite. Si on ne l’entend guère aujourd’hui dans les rues du village, elle subsiste sous la forme d’expressions dans les conversations en français. Et les noms de lieux dans le cadastre maintiennent son témoignage, comme nous allons le voir par quelques exemples. Autour de l’enceinte médiévale, les noms des rues rappellent que les fortifications ont joué un rôle important.
La rampe de la Palissade
À l’extérieur des remparts, nous trouvons la rampe de la Palissade, palissade faite de pieux de bois (« pal » en occitan) qui servait de protection avancée à l’extérieur de l’enceinte.
La rue de la Calade
Entre la rue du Jeu de Ballon et le chemin de Tabar, la rue de la Calade est ainsi nommée car elle était pavée. En occitan, « calada » désigne la pierre utilisée pour paver les rues, et par extension pour désigner une rue pavée. La rue, étant très en pente et très sujette aux phénomènes de ravinement, nécessitait d’être pavée.
Le chemin des Barris
Sur la rive droite du Lirou, il y a le chemin des Barris (ou Barrys). Ce nom, que l’on retrouve dans de nombreuses communes, désigne un faubourg, un quartier en dehors des remparts. Ces quelques exemples montrent que les noms de lieux en langue d’oc nous donnent une clé pour mieux connaître l’histoire des Matelles. Nous continuerons à vous le faire découvrir dans un prochain numéro.
Pour en savoir plus, voir l’étude d’André Boissier : « Font de l’air Toponymie des Matelles » 2003, disponible à la Médiathèque municipale.